« L’oubli est un métier d’avenir que je devrais apprendre peut-être. »
Emmelie Prophète

Les comptes-rendus-avis de lecture de la librairie Vaux Livres

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Romans traduits par Claude Bleton

Fernando ARAMBURU

Patria
Actes Sud

5 | 620 pages | 12-05-2018 | 25€

Patria, roman de plus de six cents pages, conte l’épopée basque à hauteur de familles, de leur quotidien qui, après la fracture du Franquisme, se heurte à celle de l’indépendance défendue violemment par l’ETA. Et deux familles, évidemment liées voire mélées au cœur d’un village, suffisent pour représenter le panel des engagements, des croyances, des sentiments et ressentiments, des réactions et actions, assassins, passifs ou victimes… Le récit débute en 2011 alors que l’ETA a annoncé la fin de la lutte armée. C’est aussi le moment où Bittori maintenant âgée décide de revenir dans son village où son mari Txato a été assassiné par l’ETA alors qu’il rechignait à verser « l’impôt entrepreneur ». L’enterrement qui, pour la famille correspondit au début d’une seconde vie, eut lieu loin de leur terre, Bittori ayant accompagné le défunt à San Sebastian, exil déchirant. Elle retrouve au village, Miren, forte femme, basque jusqu’au bout des ongles, restée fidèle à l’ETA. Son retour fait naturellement rejaillir les souvenirs, les rancœurs, et le passé toujours bien présent. Le récit dépeint donc passé et présent des familles de Bittori et de Miren (et leurs liens) : ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont devenus, leurs rapports, les engagements ou non de chacun (« Les uns se sacrifient, les autres profitent. »), comment ont-ils vécu les évènements, l’assassinat de Txato, le jugement de son possible assassin… Il évoque également l’engagement définitif et radical, la terreur (… la machine de la terreur est lancée, rien ne peut plus l’arrêter. »), la fidélité, la trahison, l’impossibilité du bonheur (« … je ne vois pas de crime plus monstrueux que la prétention d’être heureux. ») le pardon et l’oubli et démontre que tout cela reste affaire purement individuelle et qu’au sein d’une même famille, chacun peut appréhender différemment les traumatismes de l’Histoire. Patria en exposant la vie de deux familles anonymes montre comment la politique et l’engagement peuvent empoisonner profondément les relations humaines entre personnes si proches les unes des autres et la difficulté du pardon : Patria y apporte à l’évidence sa pierre en rappelant qu’il n'y a rarement de vainqueur de ce genre de tragédie.

Ecouter la lecture de la première page de "Patria"

Fiche #2152
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Claude Bleton


Carla GUELFENBEIN

Etre à distance
Actes Sud

4 | 315 pages | 08-02-2017 | 22.5€

Vera Segall, romancière octogénaire, meurt dès le début du roman et néanmoins, elle est au centre du récit. En effet, l’admiration que lui vouent les autres personnages, même à 80 ans elle les happe, la révèlera totalement au lecteur. Vera Sigall est tombée accidentellement, l’enquête tout du moins semble se diriger vers cette conclusion alors qu’elle est plongée dans le coma. Son jeune voisin, Daniel, l’admirait profondément et doute de l’enquête. Malgré sa vie d’architecte, sa jeune et belle femme, il éprouve une fascination évidente pour Vera et continue d’aller la visiter à l’hôpital. Il y rencontre Emilia, une jeune franco-chilienne venue pour faire une thèse sur Vera et son œuvre et qui souffre d’un trouble handicapant ; elle commença une nouvelle vie à 8 ans après un accident, « Une vie où mon corps se retrouva à l’envers. Un corps que personne ne pouvait toucher. » Elle vient sur la recommandation de Horacio, un poète qui a aimé Vera et dont l’œuvre s’invitera étonnamment dans le travail d’Emilia. Tour à tour, Emilia, Daniel et Horacio prennent la parole, se confient et dressent le portrait de Vera mais aussi nous parlent d’amour et de non-dits permettant ainsi au lecteur de découvrir une double histoire d’amour et un secret final inattendu. Comme à son habitude, Carla Guelfenbein sait tenir en haleine le lecteur et explore avec retenue la diversité des sentiments de ses personnages toujours attachants en nous offrant ainsi un récit parfaitement maîtrisé et sensible.

« Tu me disais souvent que toute la richesse d’un créateur, c’étaient ses fractures, ses incertitudes, ses questions et ses faiblesses, le doute constant de la raison ultime des choses. »

« Et je me dis que le bonheur et la douleur allaient ensemble et que nous ne pouvions pas savoir à l’avance quand l’un ou l’autre prendrait l’avantage. »

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Fiche #1899
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Claude Bleton


Valeria LUISELLI

Des êtres sans gravité
Actes Sud

3 | 185 pages | 09-07-2013 | 19.8€

A Mexico, quand son époux et ses enfants lui laissent le temps, une jeune femme écrit. Elle revient sur son passé, sur une autre vie à New-York, un autre monde, une jeunesse révolue. Elle travaillait alors pour un éditeur et chaque jour voyait une nouvelle rencontre avec des personnes toutes plus surprenantes les unes des autres. Le récit oscille entre présent et passé, jusqu’au mélange, jusqu’à la folie, « Tout est fiction… », même la vie qu’elle invente au poète Owen. Un roman singulier, Valeria Luiselli réussit parfaitement à surprendre son lecteur aussi bien par son écriture que par les méandres qu’elle l’incite à emprunter.

Ecouter la lecture de la première page de "Des êtres sans gravité"

Fiche #1322
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Claude Bleton


Carla GUELFENBEIN

Le reste est silence
Actes Sud

2 | 312 pages | 28-02-2010 | 21.3€

Carla Guelfenbein revient sur les relations au sein d’un trio (cf. Ma femme de ta vie) cette fois constitué d’un homme, d’une femme et d’un enfant. Tommy petit garçon de 12 ans, malade du cœur, observe avec attention, enregistre les conversations des adultes et réussit ainsi à donner sens au silence qui accompagne ses relations, ses liens familiaux. Le garçon est malade dans son corps mais pas dans sa tête ! Lucide, attentif, il développe une grande capacité d'analyse et une parfaite compréhension du monde des adultes. Juan, le père taciturne, veuf, chirurgien, peine à exprimer l’amour qu’il ressent pour son entourage. Alma, nouvelle épouse, mère d’une petite Lola et belle mère attentionnée de Tommy, assiste avec impuissance à la dérive du trio. Les trois voix s’entremêlent mais jamais ne pourront s’unir. Chacune dévoile ses sentiments profonds, ses peurs, sa fragilité avec émotion et retenue mais jamais ne pourra l’exprimer, l’offrir à l’autre. Un roman sur l’intimité de nos vies : homme, mari, père, femme, épouse, mère… où quand les silences, les secrets familiaux et la difficulté d’exprimer nos sentiments entravent un quotidien pourtant prometteur. "Parfois les mots sont comme des flèches. Ils vont et viennent, blessent et tuent, comme à la guerre", mais le silence n’est-il pas pire ?

Fiche #728
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Claude Bleton


Carla GUELFENBEIN

Ma femme de ta vie
Actes Sud

1 | 300 pages | 21-04-2007 | 20.3€

Londres dans les années 80 accueille un trio attachant : Theo jeune anglais et Antonio chilien exilé sont étudiants en sciences politiques alors que la jolie Clara également chilienne fait irruption au milieu de leur amitié. Un trio qui s’aimera, s’unira, se séparera, se trahira, se retrouvera… Antonio est le héros parfait, exilé, révolutionnaire, beau, séduisant, son aura éblouit son entourage (« Quand Antonio s’arrête sur toi, tu n’opposes aucune résistance ») et pourtant derrière ce masque se cache une grande fragilité. Theo et Clara s’aiment et admirent Antonio. Antonio considère initialement Clara comme sa sœur mais le trio implosera et les trahisons réciproques les sépareront. Antonio et Clara se retrouveront non sans mal au Chili et s’uniront. Theo deviendra correspondant de guerre. Chacun d’eux poursuivra ses chimères et ses idéaux mais demeurera insatisfait. Et puis un jour, Theo recevra un appel téléphonique d’Antonio pour l’inviter à venir les rencontrer au Chili. Un très beau roman sur l’amitié, les sentiments, l’amour et l’exil.

Le coup de cœur de l’été pour ce Jules et Jim version chilienne (parution en juin).

« Au moins sa faiblesse m’a rendue forte. Quand on choisit d’être fort, plus rien de vous atteint, plus rien ne vous touche. On sacrifie son émotion mais on survit. J’ai décidé d’attendre ses rares gestes, ceux qui naissent quand elle renonce à la mélancolie et aux pages de ses livres. »

« Par chance, la révolution et le sexe font bon ménage… Ils sont faits de la même matière : un tas de testotérone. Alors que les sentiments, si tu décides de te battre pour un truc qui en vaut la peine, ils te foutent en l’air. »

« J’avais entendu dire que le courage n’est pas facile. Sauver la vie d’un ami et lâcher le dernier lien qui me rattachait à la femme que j’aimais, c’était une des rares occasions que j’aurais d’en éprouver la solidité. Je regardais de nouveau les hirondelles. Un air serein m’emplit les poumons. »

Fiche #221
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Claude Bleton